En 2011, la rue chasse les dictateurs au pouvoir depuis plusieurs décennies. Dans les rangs des manifestants, on retrouve le prolétariat et la petite bourgeoisie en quête de plus de libertés démocratiques. Que ce soit en Tunisie ou en Égypte, les gouvernements mis en place à la suite d'élections "libres" poursuivent la même politique que les anciens gouvernements avec quelques libertés supplémentaires... mais les conditions d'existence de la plus grande partie de la population restent au même niveau voire empirent (le chômage augmente ainsi que le coût de la vie) et le sentiment de s'être fait "voler" la révolution reste présent dans beaucoup d’esprits. Revenons sur la fin de la dictature.
Les dictateurs ont fui ces pays et le pouvoir est laissé vacant. C'est tout naturellement que l'armée en Égypte et Ghannouchi (ancien premier ministre de Ben Ali) en Tunisie s'en emparent afin d'organiser des élections dans les plus brefs délais. Se présentent donc principalement des partis déjà constitués avant la chute du pouvoir. Le taux d'absentions très élevé reste une composante importante de ces élections (de l’ordre d’environ 50 %). Les frères musulmans avec Mohamed Morsi en Égypte et Ennahda avec Moncef Marzouki en Tunisie sont donc portés au pouvoir par les urnes. La politique menée continue dans le sens des intérêts capitalistes au détriment de la population. Lors du reversement de ces dictatures, la prise du pouvoir par le peuple n’a pas pu être possible du fait du manque de parti ou d’organisation structurés pouvant permettre cette prise du pouvoir au compte des prolétariats de ces pays. Les capitalistes gardent donc les rênes du pouvoir et les diverses rentes de ces pays. Les partis au pouvoir ne représentent pas les espoirs et les aspirations des peuples et ne reprennent pas les revendications exprimées lors des révolutions populaires.
Dès lors les manifestations dans les deux pays se poursuivent. Deux ans après la révolution, le peuple reste dans la rue. Comment s’organisent ces manifestations et quel est l’état de la lutte de classe dans ces pays ?
En Égypte
La force de l’Etuf reste difficile à évaluer. Elle a beau regrouper 200 syndicats et 2 millions de membres, elle reste le théâtre de scissions tonitruantes. Elle ne semble donc pas pour le moment servir de base pour un rassemblement en vue de la création d’un parti ouvrier révolutionnaire. Les autres syndicats créés restent peu organisés et semblent manquer de moyens (locaux, cadres…).
Pourtant, que ce soit lors de l’anniversaire de la chute de Moubarak ou dans des villes comme Port-Saïd, la mobilisation reste importante. Dans cette ville située près du canal de Suez, une grève générale de plusieurs semaines a été décidée puis rejointe par des forces de l’ordre. D’autres manifestations éclatent un peu partout dans le pays… La volonté d’une nouvelle révolution semble apparaitre dans les rangs des manifestants afin de satisfaire les revendications sociales. Cependant ces mouvements ne semblent pas être régis par une seule organisation structurée mais sont le fait d’une multitude de petits groupes indépendants. Or, sans une organisation structurée et gérée par ses militants, la prise du pouvoir par le peuple semble être bien compromise et si chute du régime il y a eu, d’autres partis bourgeois se saisiront de cette opportunité pour continuer d’exercer la même politique que les anciens gouvernements.
Afin de mener à terme ces mouvements sociaux et permettre au peuple de satisfaire ses besoins et ses revendications, la réunion de ces groupes est nécessaire.
En Tunisie
Une certaine méfiance à l’égard de l’UGTT subsiste. En effet elle a annulé la grève générale du 13 décembre 2012 après avoir collaboré avec le gouvernement de Ben Ali (en le soutenant lors des élections de 2004 et 2009). En outre, la direction (représentée par le bureau exécutif) ne s’est rangée derrière les manifestants que lorsque que le mouvement s’est étendu à l’ensemble du territoire. Elle a participé au gouvernement de transition (toujours par décision du même bureau exécutif). Il reste que ce syndicat est régulièrement saisi par la classe ouvrière. Lors des funérailles de Chokri Belaid l’appel à grève générale (qui n’avait jamais été décidée lors de la révolution de 2011), est le résultat de la poussée de la base et du mécontentement des militants. Le rôle de la base de l’UGTT est primordial dans les prises de décision de plus en plus politisées de la centrale syndicale.
Depuis la prise du pouvoir par Ben Ali, la direction du syndicat avait été soigneusement choisie afin d’être docile envers le gouvernement. A la chute de ce dernier, le syndicat existe encore et la bataille pour reprendre la direction du syndicat sera l’un des objectifs à atteindre pour permettre son émancipation vis-à-vis du pouvoir en place. Le fait que ce syndicat ait des origines dans la décolonisation et qu’il soit structuré à un niveau national permettrait d’en faire une base pour la construction d’un parti représentant les ouvriers.
Depuis la chute du dictateur, il ne se passe pas une semaine sans que des manifestations, grèves ou émeutes s’enclenchent dans diverses villes telles que Sidi Bouzid, Gasfa, Le Kef… Cependant, la flamme qui avait propagé la révolution à l’ensemble du territoire ne semble, pour le moment, ne pas s’étendre aux villes côtières. Les intérêts de la population semblent quelque peu diverger pour le déclanchement d’une seconde vague de protestation. En effet, la rupture entre la petite bourgeoisie et les paysans campant sur l’avenue principale est de plus en plus prononcée. Lors des réunions on peut entendre d’un coté « maintenant que l’on a dégagé le dictateur, maintenant dégageons la dictature » et de l’autre « construisons notre démocratie et montrons que nous sommes un peuple propre, sain et civilisé ». La base continue à diriger sa colère contre le gouvernement en place et la question sociale reste au cœur des discussions et des mobilisations.